FORMES

Le Rendez-vous des ECO-MATERIAUX special ’16

VERS LA MISE EN PRATIQUE DE L’ÉCOCONCEPTION

Manon Sarthou

Architecte d’intérieur spécialiste des salons, expositions et événements, Alain Masmondet a débuté sa carrière dans les années 1970, une époque où tout était jeté une fois utilisé. Il a assisté à la transformation de son métier, d’abord associé à une consommation massive, puis, avec le temps, davantage motivé par le développement durable. Il est le cofondateur d’AMAT, matériauthèque de produits destinés à l’écoconception. Il s’agit d’une banque de données de fournisseurs et de récupérateurs d’écomatériaux utilisés dans les expositions et salons événementiels. En juillet dernier, à Paris, il nous a raconté comment il était « tombé dans la soupe » de l’écoconception et de l’économie circulaire.

Une sensibilisation aux impacts environnementaux
Au début des années 2000, Alain Masmondet est interpellé par la question écologique grâce à son fils. Ce dernier travaille alors sur l’ISO 14000 (normes concernant notamment l’impact des entreprises sur l’environnement) pour le groupe de gestion de l’eau et des déchets Suez Environnement, en collaboration avec l’Institut supérieur de l’environnement et le ministère de l’Écologie. « Cette initiative encourageant les entreprises à tendre vers une planète durable a créé un électrochoc chez moi », confie-t-il.
De 2006 à 2009, Alain Masmondet préside la Fédération française des métiers de l’exposition et de l’événement (FFM2E), un collectif regroupant des concepteurs et installateurs d’expositions, de salons et d’événements. Le groupement fait partie de l’International Federation of Exhibition and Event Services (IFES), qui rassemble des organisations du secteur de l’exposition et de l’événementiel depuis 1984 et qui est aujourd’hui présente sur tous les continents.

2008-2012 : création d’AMAT
En 2008, M. Masmondet décide de mettre sur pied une matériauthèque de produits d’écoconception destinés à des événements ou à la mise en œuvre de décors, en collaboration avec trois associés cofondateurs  : Gabriela Künzli (membre du conseil d’administration de l’IFES pour la France et le développement durable), Jacques Rouge (consultant en écoconception) et Alain Gillant (consultant en vente à distance). AMAT devient réellement effective en 2012 et regroupe dès lors des matériaux pouvant être réemployés. « J’ai longuement cherché des solutions, pour les moquettes, par exemple, sachant qu’elles couvrent 19 millions de mètres carrés de surface par an dans le monde de l’exposition et de l’événement avant de disparaître dans des carrières ou d’être enfouies, explique M. Masmondet. Nous avons eu l’idée de chercher des fournisseurs de dalles de moquette réutilisables, notamment pour le salon Le Bourget. Les dalles trouvées ressemblent aux Heuga Felt (dalles composées de poil animal fixé sur une couche bitumeuse), ce qui leur donnait une qualité autoplombante très solide mais impossible à recycler. Dans les années 1960 et 1970, la préoccupation n’était pas le recyclage des matériaux, mais la possibilité de les réutiliser tels quels le plus longtemps possible. » Aujourd’hui, on part du même principe avec les moquettes qui, en plus, sont recyclées. Après avoir servi pour les salons ou autres manifestations événementielles, elles sont reprises et valorisées, surtout par des associations.

Économie circulaire et réflexion sur l’écoconception
Les matériaux que choisit Alain Masmondet pour la matériauthèque AMAT sont classés selon des cycles de vies allant de 1 à 4. Plus les cycles sont nombreux, plus les matériaux sont réutilisables longtemps. Un matériau peut être suffisamment résistant pour connaître jusqu’à quatre réutilisations, voire plus. Ces matériaux aux cycles multiples sont destinés à l’agencement, l’aménagement et à l’architecture intérieure. « Ultimement, nous souhaiterions qu’ils connaissent une fin de vie dans le domaine de la construction, suivant le modèle de l’économie circulaire. L’écomatériau deviendrait ainsi un outil de l’écoconception. J’aborde la question avec mes élèves de l’IGS, mais pour le moment, peu d’enseignants connaissent l’écoconception », déclare-t-il.

Responsabilité sociétale des entreprises
La FFM2E a aussi mis sur pied le label PrestaDD (DD pour développement durable). « Ce n’est pas une norme ISO, mais il est crédible », affirme Alain Masmondet. Il nécessite de remplir un formulaire Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) qui révèle leur degré d’implication sociétale et environnementale au niveau européen. L’administration française l’a intégré aux appels d’offres et il permet aux entreprises de se positionner favorablement. Les candidats au label doivent répondre à 50 % ou plus des exigences RSE.
Le RSE comporte un important volet dédié à la responsabilité sociale. Ainsi, les entreprises qui ont trop de stagiaires, par exemple, n’obtiennent pas le label (en France, les stagiaires sont peu ou mal payés en général et embauchés sur une courte période). « Par exemple, nous avons demandé à une entreprise qui voulait intégrer la matériauthèque, mais qui comptait 19 stagiaires sur 23 employés, de diminuer son ratio », précise Alain Masmondet. Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2016, la législation française autorise 20 % de stagiaires sur le total des employés permanents d’une société.
En matière d’éclairage, la matériauthèque offre des fournisseurs en LED, cela va de soi, et des produits pour créer des ambiances. Elle s’intéresse aussi aux matériaux pour les salles acoustiques. Parmi les bons fournisseurs dénichés, Serge Ferrari a réussi à créer des toiles qui absorbent le son, et la compagnie Relais Métisse a conçu un isolant phonique composé de toiles de jeans recyclés, toutefois coûteuses (60 euros/m2 au lieu des 20 ou 25 euros/m2 par rapport à un aménagement de salle en installation générale standard).
Par ailleurs, AMAT a trouvé en Bretagne des fabricants des peintures aux algues très appréciées. Et en 2015, pour le salon Le Bourget, la matériauthèque a réussi à proposer 25 000 m2 de dalles de sol et de plafond réutilisables. Elle a fait appel aux marques Armstrong et Knauf pour les plafonds, et Interface et Desso pour les sols.

Perspectives 2017
En vue des grands salons de 2017, AMAT cherche présentement des filières où des échanges existent déjà entre fournisseurs et récupérateurs de matériaux. Les négoces de récupération de matériaux se trouvent surtout dans les secteurs de la moquette, du bois et du mobilier professionnel. Les entreprises de gestion de déchets des salons sont très peu préoccupées par la réutilisation des matériaux. Selon Alain Masmondet, la compagnie qui possède 60 % de parts de marché dans le nettoyage des déchets de salons d’exposition ne recycle pas beaucoup. « Il faut une législation sur le tri à la source pour permettre une seconde vie en aménagement intérieur », insiste-t-il.
Intervenant surtout en architecture d’intérieur et dans les salons, la matériauthèque ne comporte ni béton ni isolant. Il existe une dizaine d’autres matériauthèques en France, parmi lesquelles figurent ces matériaux. « Pour le moment, aucune ne s’implique comme nous le faisons en matière d’environnement et de développement durable, regrette Alain Masmondet. Il faudrait travailler ensemble pour résoudre le problème de gaspillage. Le développement durable est une responsabilité sociétale pour les entreprises. Le monde de l’exposition est plus avant-gardiste en matière de développement durable que ne le sont les matériauthèques conçues pour les firmes d’architecture », précise-t-il.
Établir des obligations de développement durable lors des appels d’offres est nécessaire. Sur les salons et dans l’événementiel, c’est déjà une préoccupation. Par ailleurs, le collectif eco-evenement.org travaille présentement à l’élaboration d’un questionnaire sur l’accessibilité (en référence à la loi française sur l’accessibilité des personnes en situation de handicap), qui viendra éventuellement intégrer le label PrestaDD.
Enfin, le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie a créé l’Institut de l’économie circulaire, inspiré d’un modèle mis en place aux Pays-Bas, qui propose les « Green Deals », des accords conclus entre l’État et les entreprises privées. Quatre accords d’Engagements pour la croissance verte (ECV) ont été signés pour l’instant – dont l’un avec un collectif dont fait partie Suez Environnement. Avec les partenaires de l’édition 2017 du salon Le Bourget, M. Masmondet souhaite les instaurer et, ainsi, motiver les entreprises à exercer une conduite responsable dans le cadre de grands événements.

Alain Masmondet est architecte d’intérieur spécialisé dans les salons d’exposition. Après avoir fait l’école Boulle (école de design et de métiers d’art française) et obtenu un diplôme des Arts décoratifs de Paris en 1971, il démarre son métier d’architecte d’intérieur et se spécialise principalement dans les salons d’exposition. Il enseigne l’écoconception dans une école de commerce à Paris. Photo : Manon Sarthou

Présentoirs des échantillons de la matériauthèque AMAT. Les matériaux proposés sont spécialement sélectionnés pour des aménagements d’expositions temporaires. La matériauthèque est payante sur abonnement annuel de 200 euros. Elle permet d’accéder à des fournisseurs de matériaux écoresponsables. Ces matériaux doivent faire partie de la chaîne de l’économie circulaire. En fin de parcours d’utilisation, le matériau doit pouvoir se retrouver dans un bâtiment. La matériauthèque comprend les rubriques suivantes : revêtements de sol, parois et plafonds, éclairage et mobilier, signalétique, décor et accessoires. Source : Alain Masmondet

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Article paru dans le magazine FORMES au Québec / Canada
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